Q & A avec le public après la projection du film "Après coup"
En présence du réalisateur Noël Mitrani
et des acteurs Natacha Mitrani et Mohsen El Gharbi
12 Oct.2017__Cineplex Odéon Montréal
Culture à la carte - édition cinéma
Émission diffusée le Jeudi 19 octobre 2017 - 17h45
Entrevue avec Noël Mitrani , scénariste & réalisateur du film "Après Coup"
Animé par : Danyel Turcotte
Radio VM - 91,3fm - radiovm.com - Montréal
DT : Comment
vous est venu l’idée d’écrire ce scénario?
NM : Ça peut paraître contradictoire mais j’avais envie
de faire un film positif, à partir d’une idée assez dure : la mort d’un
enfant et les conséquences psychologiques qui viennent avec. Mais comme je dis
toujours, j’aime faire un film dramatique mais pas dramatisant. Je ne veux pas
infliger quelque chose au spectateur, je veux lui apporter une proposition de
bien-être. Avec ce film j’avais envie de faire du bien aux gens.
DT : Ça
fonctionne extrêmement bien. Le personnage principal joué par Laurent Lucas a
beaucoup de difficultés à accepter de se faire aider. Ce n’est pas sa fille qui
est victime de l’accident mais l’amie de sa fille. Mais il s’implique autant
que si c’était sa fille.
NM : Dans les deux cas il y a la souffrance vis-à-vis
de la mort d’un enfant, mais je ne voulais pas traiter directement la mort de
son propre enfant, parce que d’abord c’est quelque chose qui a souvent été
fait, et puis je ne voulais pas que ce soit une souffrance immédiate de la
perte de l’enfant parce que ça c’est un autre sujet. Là le sujet c’était le
sentiment de culpabilité lié à ça. Le personnage joué par Laurent Lucas
développe un syndrome de stress-post-traumatique, il ressent une profonde
culpabilité parce que c’est lui qui a dit à la petite fille de rentrer chez elle
à un moment précis et que c’est à ce moment que s’est produit l’accident. Il se
dit : «Si je ne lui avais pas dit de partir à ce moment-là, elle ne
serait pas morte. » À partir de là, il développe un énorme traumatisme
psychologique, là est le thème du film.
DT : Cette
thérapie, existe-t-elle vraiment?
NM : Oui elle existe depuis une trentaine d’années,
elle a été découverte aux États-Unis. On s’est rendu compte que le traumatisme
correspond à une image dans notre cerveau. On pense que le traumatisme est quelque
chose d’abstrait qui se promène dans le cerveau et qu’on n’est pas capable de
l’identifier, mais en fait on s’aperçoit que c’est une image. Et cette image
fera moins souffrir selon qu’elle sera placée à un endroit ou un autre du
cerveau. Toute la thérapie EMDR consiste à faire se déplacer cette image
traumatisante d’une place du cerveau à une autre. Si cette image est à la place
qui lui correspond, on souffrira moins, il s’agit d’une grande découverte. L’EMDR
permet de faire de façon éveillée ce que le sommeil fait en temps normal. Les
gens le savent peu mais le but du sommeil est de classer les informations de la
journée, la fatigue physique se répare vite, mais c’est le travail de
classement qui est long, c’est pourquoi il nous faut des nuits complètes. Mais
quand un traumatisme est trop fort, on a recours à cette thérapie, on crée une
impulsion électrique en bougeant les yeux de façon latérale. Et ça marche. De
nombreuses victimes d’attentats, notamment celles de Paris en 2015, sont
passées par l’EMDR pour soigner leurs problèmes. Ce n’est pas magique, c’est un
soutien et ça soulage.
DT : Vous avez
dirigé votre fille Natacha Mitrani dans le film. On voit fort bien qu’elle est
dans un monde de cinéma dans sa vraie vie, parce qu’elle est vraiment
excellente, la caméra pour elle c’est comme si c’était une chaise, elle ne s’en
occupe pas! Comment c’est de diriger sa fille?
NM : C’est probablement une des expériences les plus
fortes que j’ai pu connaître dans ma vie. Chaque jour je suis heureux d’avoir
fait ça avec elle. J’ai une très grande complicité avec ma fille. On a une
relation de confiance qui est très forte. Natacha s’est présentée au tournage
sans aucun stress, elle voulait bien faire mais elle n’a pas compromis ses
capacités par du stress. Elle n’a pas joué en fait, elle a fait les scènes. Je
ne l’ai pas du tout fait répéter avant. Je ne voulais rien endommager avant le
tournage. Elle a appris son texte par cœur avec sa maman, sans chercher à le
jouer, juste neutre. Et au tournage elle a été sublime, l’équipe était
émerveillée par ce qu’elle donnait.
DT : Quelle âge
elle avait au moment du tournage?
8 ans.
DT : Mohsen El
Gharbi, est-ce que c’est un vrai psychologue ou un comédien?
NM : Merci, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me
faire et lui faire! C’est un acteur.
DT : Il est
extraordinaire!
NM : Oui. Il a trouvé le ton juste. Il est empathique.
On comprend que d’être entre ses mains on va s’améliorer.
DT : Vous avez
eu aussi l’occasion de travailler avec Pascale Bussières, ce n’est pas un grand
rôle mais c’est Pascale Bussières!
NM : Pour moi il n’y a pas de grands et de petits rôles
au cinéma. À partir du moment où une personne apparaît dans un film dramatique, chaque maillon est essentiel pour faire monter la dramaturgie. Pascale est
venue sur une scène clé du film, qui se situe vers la fin, et elle a été
remarquable, elle a complètement intégré son personnage en très peu de temps.
Elle joue une scène extrêmement émouvante avec Laurent Lucas. J’étais heureux
de pouvoir travailler avec Pascale Bussières.
DT : Pouvez-vous
nous donner un petit aperçu de ce que ça a été de faire ce film que j’adore et
qui j’espère va être distribué? Une idée
de tout le travail que ça été pour vous, en plus vous faites vos films seul.
NM : Seul, non pas exactement, je l’ai produit avec mon
ami directeur photo Bruno Philip, qui a pris une part essentielle dans la
production du film, et qui bien sûr a signé l’image qui est magnifique. Je
produis mes films parce que je n’arrive pas toujours à me faire financer. Je
fais un cinéma très personnel,un peu
comme s’il fallait voir le film fini pour comprendre ce que je cherchais à
faire. Même si après quatre long-métrages, je pense que maintenant les gens
commencent à comprendre ma démarche, mais bon… Ce qui m’intéresse c’est que
l’expérience de tournage se passe vite.Par exemple sur mon film L’Affaire
Kate Logan j’avais eu quelques millions, il y avait une grosse équipe et il
nous fallait trois heures pour mettre le plateau en place entre chaque scène,
c’était long, je trouvais qu’on perdait le fil. Alors que sur Après coup, on tournait une scène toutes
les 45 minutes parce qu’on était une équipe réduite. Tourner vite, ça ne veut
pas dire bâcler le travail, ça veut dire qu’on peut tourner vite parce qu’on a
peu de monde à gérer.
DT : Quand les
comédiens tournent vite ils donnent ce qu’ils ont à donner, on le voit dans
votre film, les personnages sont tellement à leur place, Laurent Lucas est
fantastique!
NM : Oui, Laurent donne une prestation au niveau des
émotions qui est unique dans sa carrière, il est sorti vidé du tournage, lessivé,
il me disait qu’il avait des nuits agitées. Ce film l’a perturbé, travaillé, ému. Il en
est sorti différent, ça m’a fait plaisir parce que c’était le but de ce projet.
Laurence Dauphinais aussi est merveilleuse dans le film. Ça a été un bonheur de
tourner avec elle, je voudrais lui rendre hommage parce que je pense qu’elle
est le pivot du film, sans elle le film n’aurait pas sa colonne vertébrale.
DT : C’est un
film à voir. Il a été présenté dans le cadre du FNC, que sera la suite
maintenant?
NM : Il faut qu’on trouve un distributeur. Mais le
problème c’est que les distributeurs attendent derrière les subventions du
gouvernement pour s’impliquer. Même s’ils aiment le film, sans subventions ils
n’auront pas les moyens économiques pour sortir le film. C’est un peu triste
mais c’est comme ça. Mais je pense qu’on peut espérer un soutien des institutions
parce qua le film a un impact sur le public et sur la critique.
DT : Je pense de
toute façon qu’on va pouvoir le voir à la Cinémathèque très bientôt.
NM : Oui et on le verra probablement aussi aux
Rendez-Vous du Cinéma Québécois au début de l’année. Et pour ceux qui sont en
Angleterre, le film est sélectionné dans un festival à Eastbourne en novembre.
DT : Je veux qu’on
en parle parce que ça mérite une bonne distribution, c’est un excellent film.
Merci Noël Mitrani, on se revoit très bientôt.
The film is about a family in distress after a tragic accident that happened to their daughter's friend. Especially affected is the father who assumes a full personal responsibility for what had happened, though he did not cause the accident. In his mind, all is about the timing and him asking the girl to go home after the afternoon spent with his daughter playing. He becomes obsessed with his personal guilt to the extent he is not able to carry on with his regular daily responsibilities. This affects his professional and family life and his relationship with his wife and daughter. His wife forces him to see a psychiatrist. Yet the medication he is prescribed and that is supposed to help him has no effect on him and after a while he refuses to take it. Threatened with by his wife that he will have to move out if he does not do anything about his condition that is destructive to her and their daughter, he finally unwillingly and reluctantly goes to see a psychologist.
"The film could most likely be used by the qualified psychologists as an additional tool to help introduce their clients to these techniques. It is sensitively enacted by the cast and illustrates how a family's harmony could be re-established after conflicts, shocks or traumas that a family member or members had endured."
"Cousin supérieur de son précédent Le militaire, Après coup permet à Noël Mitrani de
continuer à explorer davantage les traumatismes du passé alors qu'un
homme consulte pour expier son sentiment de culpabilité [...] On y découvre le grand talent de la fillette du réalisateur."
Entrevue avec Noël Mitrani à propos de son film « Après coup », présenté en première au FNC.
Nous nous étions rencontrés il y a trois ans à l’occasion de la présentation de Le militaire, nous retrouvons Noël Mitrani en ce lundi pluvieux autour d’un café pour discuter d’Après coup,
son quatrième long métrage, produit en toute indépendance, comme le
précédent. Nous lui avons posé quelques questions sur son sujet, ses
inspirations et ses personnages. Extraits d’une discussion à bâtons
rompus.
La seconde représentation au FNC a lieu le jeudi 12 à 13h
L’un des points les plus intéressants de ton film c’est
d’avoir inséré dans le récit une référence à plusieurs recherches
novatrices en matière de psychanalyse. D’où t’est venue cette idée?
Il y a une révolution qui est en train de s’opérer dans les études
faites sur le cerveau. J’aime beaucoup cette idée que le cerveau humain a
prévu la capacité de régler les traumatismes de façon naturelle, par
lui-même. Il faut juste que l’on débloque les mécanismes par des
procédés tels que l’EMDR et la CIAM (recherches menées par les
psychanalystes Shapiro et Botkin, NDLR). Je compare ça à la
cicatrisation. Alors ce qui s’applique à la chair, pourquoi ça ne
s’appliquerait pas à la psychologie. En cinq séances avec un bon
psychologue et en bougeant les yeux, tu vas régler des blessures
psychologiques cent fois mieux qu’avec des antidépresseurs! Mais, en
abordant la trajectoire d’un être humain qui essaie de se battre grâce à
l’empathie d’un médecin, mon film reste une histoire purement
fictionnelle. J’avais plus ou moins entendu parler de ça. Et là j’ai ouvert une
porte dans ma vie. C’est-à-dire, il y a un avant et un après. Il n’y en
n’a pas beaucoup des moments dans notre existence qui constituent des
charnières, une espèce de révolution dans notre tête. Je me suis dit que
ce film serait l’occasion de pousser très loin ce sujet-là. Il y a
énormément de recherches et de lecture. Un an au total. Je n’ai pas
écrit une ligne pendant ce temps. Parce que je ne voulais pas tout
mélanger au risque de ne pas réussir à me décoller du sujet. Donc j’ai
fait mes recherches et j’ai laissé passer un mois pour laisser entrer en
moi tout ce que je savais. Après, je me suis attaqué au scénario et je
l’ai écrit en un mois, comme une espèce d’évidence. J’ai retrouvé cette
évidence que j’avais eue avec Igor Rizzi.
Tes films précédents étaient plutôt orientés sur des
personnages solitaires. C’est la première fois que tu abordes la cellule
familiale…
Depuis plusieurs années, on se rend compte que le schéma familial
s’est complètement disloqué. C’est très difficile de maintenir une
famille, d’élever des enfants. Et ce n’est pourtant pas impossible. On
présente aujourd’hui principalement des familles dysfonctionnelles. Il
faut arrêter avec ça. Il faut envoyer des messages d’espoir au public.
Il faut arrêter avec le cynisme sur le mariage ou les enfants. C’est à
nous d’avoir les bonnes valeurs. D’une certaine façon, la famille
s’inscrivait déjà en creux de Kate Logan.
On sent qu’il aime sa femme, on sent qu’elle l’aime. Mais là, je l’ai
vraiment mis au centre. Tout le problème du traitement psychologique
découle de la question de la famille. Je crois profondément à ça et
c’est pour ça que je l’ai traité avec autant d’aisance. Il aura fallu
que j’attende le quatrième pour me sentir capable de faire ce film.
Dans Le militaire, il y a une certaine urgence de faire du
cinéma. Alors que là, on est confronté à un sujet plus posé, plus
travaillé, plus réfléchi. Est-ce que ça pourrait vouloir dire que tu as
changé ton rapport au cinéma?
Je fais un film tous les trois ans. C’est long trois ans dans une
existence d’artiste qui réfléchit sur son travail. Moi, c’est parce que
je note un changement en moi que je ressens le besoin de faire un film.
Si je n’avais pas fait Le miliaire, je n’aurais pas pu faire Après coup. J’avais besoin d’exorciser des démons. Avec Igor Rizzi,
j’avais une énorme puissance poétique à l’intérieur de moi. Je venais
de France à ce moment-là et j’étais dans la transition de l’immigration.
Il y avait un vague à l’âme à l’intérieur de moi. J’ai sorti ça et ça a
donné Igor Rizzi. Après, j’ai fait deux films plus sombres pour me débarrasser du côté noir qui est en moi. Avec Le militaire j’ai été très loin avec ça. Après coup
fait preuve d’une sérénité, car je l’ai abordé sans cette noirceur,
mais avec une immense envie de faire pour la première fois de ma vie un
film humaniste. J’ai envie de tendre la main au public et de dire
« regardez, j’ai fait un film qui va vous faire du bien. » Parce que
j’en suis capable aujourd’hui. Ce film m’a apporté une sérénité que je
n’avais pas.
Parle-moi un peu de tes comédiens…
J’ai écrit ce film parce que je savais que c’est Laurent qui allait
le faire et j’ai été très loin parce que j’étais convaincu qu’il en
serait capable. Il a aussi à sa manière participé à l’écriture en
faisant un travail d’intégration du texte en l’adaptant à ses propres
mots. C’est la même chose avec Laurence Dauphinais qui est impeccable.
Elle tient sa place d’une façon extraordinaire. Je savais aussi que dans
la personnalité de Mohsen, il y avait la possibilité d’incarner ce
personnage de psy. Il a beaucoup de texte. Ensuite il y a ma fille.
C’est elle qui m’a demandé de faire un film ensemble. Ce n’était pas une
phrase anodine. Je sais qu’elle a ça en elle. Elle a appris son texte
par cœur, mais je ne l’ai jamais fait répéter pour ne rien abimer. C’est
comme un coquelicot. Il faut le prendre dans le champ au dernier
moment. Et j’ai fait confiance à l’expérience de tournage. Je me suis
dit que tout allait se passer avec Laurent, en situation, dans le décor.
Je ne lui ai pas mis la pression.
As-tu eu des retours sur ton film?
Le film soulève l’enthousiasme et remporte l’adhésion. Il a été
sélectionné en Angleterre dans un festival à Eastbourne, en compétition.
Il passera en novembre. Le FNC est un tremplin extraordinaire et je les
remercie énormément… Ça me touche beaucoup. Ce qui m’intéresse avant
tout c’est que chacun de mes films puissent se répondre les uns les
autres. Et j’essaye de faire comprendre que chacun d’eux composent
quelque chose qui a une certaine unité. Si ce que je fais puisse aboutir
à une petite œuvre. Mais pour celui-là, je vais me battre, parce que je
sais qu’il peut trouver son public.
Par : Charles-Henri Ramond Publication : 11 octobre 2017
La Première du film "Après coup", au cinéma du Parc, le 6 octobre 2017, en présence du réalisateur Noël Mitrani, des acteurs Laurent Lucas, Laurence Dauphinais, Natacha Mitrani, Mohsen El Gharbi, et du directeur photo Bruno Philip.
On ne le connaît pas (ou par un nombre très restreint de cinéphiles) en France, mais Noël Mitrani
est un cinéaste chevronné et bien connu au Canada. Avec quatre
courts-métrages et tout autant de longs-métrages à son actif, le
réalisateur canadien a rapidement su se faire connaître. Repéré dès la
diffusion de son premier long-métrage titré Sur la trace d’Igor Rizzi, Noël Mitrani
c’est depuis bâti une filmographie dont les films se succèdent sans
illogisme ni discontinuité. Le traumatisme sous toutes ses formes, la
psychologie humaine et la reconstruction après un évènement douloureux
pour la conscience humaine sont les problématiques fondamentales de sa
filmographie. Véritable pierre angulaire permettant de lier un à un
chacune de ses œuvres, c’est ce même questionnement auxquels vont être
confrontés les spectateurs de son nouveau long-métrage : Après Coup.
Attaquer la psychologie humaine au cinéma c’est se heurter à devoir
marcher sur un étroit filin scénaristique. Ne jamais sombrer dans le
pathos, mais réussir néanmoins à créer une un lien fort, une empathie
entre le(s) personnage(s) et les spectateurs.
Le cinéma français va souvent se servir d’un traumatisme pour par la
suite créer un attachement et développer un ton « feel good ». C’est
souvent plus ou moins réussi, mais c’est surtout majoritairement un
simple accélérateur scénaristique qui ne sera pas plus développé que
cela. Le but étant en tout et pour tout de faire passer un « bon »
moment aux spectateurs en racontant une belle histoire. Si avec son film Après Coup, Noël Mitrani
cherche également à faire passer un bon moment de cinéma aux
spectateurs, il va avant tout être question d’émotion et d’attachement
émotionnel pour aboutir à un sourire en coin qui ne sera pas forcé.
Montrer un évènement tragique en optant pour le point de vue d’une
personne qui en est « que » spectateur. Telle est la manière dont Noël Mitrani
a choisi de créer un profond attachement émotionnel entre le
protagoniste de son film et le spectateur. L’accident est ici
annonciateur d’une destruction interne du personnage, il est utilisé
comme point de bascule du récit. Un récit centralisé sur ce protagoniste
dont le spectateur va assister à une descente aux enfers psychologique
sans pouvoir y faire quelque chose.
Grâce à des choix de mise en scène et de cadres qui n’occultent à
aucun moment les personnages d’ordre secondaire, le spectateur va avoir
un point de vue global sur la situation de cette famille. Ne pas se
contenter de filmer le personnage troublé et torturé, mais également
montrer sa façon de se comporter avec les siens. Façon de renforcer
l’attachement non pas à un personnage, mais bien à toute sa famille, à
tous ceux qui l’entourent. Même si passif, émotionnellement le
spectateur reste en activité et ne cesse de donner intérieurement son
avis sur les actions du protagoniste afin qu’il aille au mieux, afin que
lui et sa famille soient heureux. À partir de ce moment, à partir du
moment où le spectateur souhaite que le bonheur refasse surface au sein
de ce foyer, c’est que le pari du réalisateur Noël Mitrani
est réussi. Réussir à mettre en scène un drame psychologique
extrêmement sobre dans la forme, mais suffisamment bien écrit et mis en
scène pour impacter et toucher le spectateur. En sus de ce beau travail
réalisé sur l’affect, Après Coup est un film qui porte à
réfléchir sur les nouvelles techniques de guérison. Excellemment bien
écrits, les dialogues déclamés par le psychologue vont poser des
questions rationnelles sur le comportement de la conscience humaine. Des
questions rhétoriques, qui ne demandent pas à ce que soient apportées
des réponses, mais simplement à ce qu’on y réfléchisse. À ce que le
spectateur puisse réfléchir sur la conscience et le subconscient humain,
cette machine incroyable dont aucun n’est réellement maître et dont
aucun n’a conscience de ce dont elle est capable.
En réalisant un film basé sur l’affect, sur l’attachement émotionnel entre le spectateur et les personnages, Noël Mitrani
se permet de développer l’aspect psychologique de son scénario. Faire
en sorte que l’on se pose les bonnes questions, tout en aboutissant sur
un propos humaniste et profondément bienveillant en corrélation avec les
bonnes ondes et l’attachement émotionnel qui se dégage du film dans son
entièreté. Également remarquablement interprété(remarquable Laurence Dauphinais qui tient tête à un Laurent Lucas habité), Après Coup est une belle surprise, une œuvre touchante aux personnages attachants.
Après coup, quatrième long métrage de Noël Mitrani, propose le
portrait d’un père de famille profondément marqué par un deuil dont il
se sent responsable.
Rongé par le remords et un profond sentiment de culpabilité
après la mort de Marion, l'amie de sa petite fille, un homme décide de
suivre une thérapie qui fait appel à des méthodes révolutionnaires. Au
fil de ses rencontres avec le psy, le poids de cette mort qui le hante
s'estompe.
Par Charles-Henri Ramond
Après coup (Afterwards) est un
drame psychologique coproduit, écrit et réalisé par Noël Mitrani. Pour
ce quatrième long métrage produit de façon indépendante, le réalisateur
de Sur la trace d’Igor Rizzi retrouve Laurent Lucas, dans la peau cette fois d’un père de famille marqué par un deuil dont il se sent responsable.
Après coup propose un récit de rédemption
au schéma classique (choc > déni > travail personnel >
lumière). Débutant à la manière d’un drame familial sombre, le scénario
s’oriente ensuite vers une illustration psychologique, presque
fantastique, du traitement clinique du syndrome de stress
post-traumatique. Un psychologue (incarné par Mohsen El Gharbi, vu dans
des rôles secondaires dans Embrasse-moi comme tu m’aimes, Là où Atilla passe ou Montréal la blanche)
emmène progressivement son patient dans une thérapie
« révolutionnaire » qui consiste à entrer en contact avec la jeune
défunte. Le message rassurant que celle-ci délivre au traumatisé permet
alors de le délivrer du poids de la culpabilité.
L’histoire s’appuie sur deux méthodes de psychothérapie inventées
dans les années 80 et 90 aux États-Unis. L’EMDR (Eye Movement
Desencitization and Reprocessing), découvert par la psychologue Francine
Shapiro, qui permet d’ôter les blocages traumatiques par de simples
mouvements oculaires et la CIAM (Communication induite après la mort)
issue des travaux de recherche menés sur des vétérans de la guerre du
Vietnam par le Dr. Allan Botkin.
Mitrani compense la froideur cérébrale de sa seconde moitié de son film
par l'intensité - et la justesse de ton - de comédiens habités, dans des
rôles qui auraient pu facilement les emporter dans le pathos et la
sur-dramatisation. En tête de liste, Laurent Lucas est épaulé par la
complicité de Laurence Dauphinais et par l'impressionnante Natacha
Mitrani, fille du cinéaste. Ce qui n'aurait pu être qu'un drame de plus
sur la reconstruction se convertit alors en une quête intime, une ode à
la famille et à la vie rendue originale et attachante par son côté
mystérieux. La proposition la plus intéressante de Mitrani depuis Igor Rizzi. (Vu au FNC 2017)
À quelques jours de la double projection au FNC de son nouveau film (Après coup, financé comme Le Militaire, sans l'aide des institutions, au FNC les 6 et 12 octobre), nous avons rencontré Noël Mitrani pour parler de son film… mais aussi d'indépendance !
Commençons en reprenant un peu la suite de notre dernier entretien réalisé à propos du Militaire! Quels ont été vos choix de financement pour ce film?
Ce film n’a pas été financé par les institutions. Je n’ai d’ailleurs
jamais cherché à le faire financer par les institutions. C’est un projet
sorti un peu de nulle part, à un moment extrêmement critique de mon
existence, car j’ai travaillé deux ou trois ans sur un projet que j’ai
cherché à faire financer, qui s’appelait Emma sous influence. Je
me suis donnée en écriture comme rarement dans ma vie, et je me suis dit
que j’allais passer le temps qu’il faut pour faire financer ce projet,
que j’allais être patient, que j’allais jouer le jeu, être docile,
écouter les analystes… et au troisième tour, la SODEC m'a annoncé qu’ils
ne prenaient pas mon projet. J’ai donc reformé mon équipe avec mon ami directeur photo Bruno Philip
et j’ai proposé de faire un film par nos propres moyens.
J’avais justement un sujet en réserve, qui me tenait à cœur depuis
longtemps. De plus, au-delà de tout ça, j’ai trouvé la force de
continuer le cinéma car ma fille de neuf ans, Natacha, m’a beaucoup
aidé. Elle m’a alors dit: «C’est dommage que tu arrêtes le cinéma car ça
aurait été mon rêve de tourner dans un de tes films.» Ça m’a beaucoup
ému car je me suis rendu compte que j’avais envie de laisser cette
trace, de laisser quelque chose qui soit plus que du cinéma, mais une
sorte d’archive de ma relation avec ma fille à un moment donné. Je suis
alors parti en écriture avec une inspiration extraordinaire. J'avais
l'impression profonde que c'était un sujet tellement personnel qu'il
aurait été endommagé par une recherche de financement car les gens
n'auraient pas compris mes intentions, m'auraient ramené vers quelque
chose de rationnel, que j'aurais trouvé insupportable. J'avais besoin
d'exprimer ce film tel que je l'avais en moi et de le faire. Je ne
voulais pas passer à travers le système car il aurait bousillé mon
projet. Certains projets ont besoin d'être analysés par les autres car
ça peut les perfectionner, mais pas celui là. D'ailleurs, le cinéma que
je pratique en général est plutôt un cinéma qui peut être bousillé par
les autres.
Pouvez-vous nous dire ce qu’est à vos yeux Après coup?
Après coup, c’est un film qui a été fait avec de la rage.
La rage de dire «Non, on ne me fera pas taire. J’ai des choses à dire et
je vais trouver les moyens de les dires.» Je n’étais pas dans une
logique de business, ni même artistique. La seule logique dans laquelle
j’étais, c’était: «Je veux faire un film avec ma fille. Avant d’arrêter
le cinéma, je veux faire un film qui aborde la question de la famille.».
C’est quelque chose de central dans ma vie. Avant d’être cinéaste, je
suis un family man! J’ai trois enfants, je suis avec ma femme
depuis 30 ans! Je connais la famille, je l’aime, j’y crois… et j’ai
envie d’en parler. J’avais envie, dans Après coup, de
montrer une famille qui n’est pas dysfonctionnelle car j’ai l’impression
qu’aujourd’hui, les films ne nous présentent que des couples ou des
familles dysfonctionnelles. Je suis tanné avec ça! Bien sûr, le cinéma
est fait pour parler de trains qui déraillent… mais là, ça devient trop!
Ça m’insulte de voir que le schéma familial et le couple sont toujours
présentés comme une connerie, comme un échec, comme quelque chose qui ne
peut pas marcher! Je ne suis pas d’accord. J’aime la famille. Je pense
que c’est la plus belle cellule qui existe au monde, j’aime l’éducation
des enfants, j’aime le couple et j’ai envie d’en parler de manière non
dysfonctionnelle. Maintenant, effectivement, il se passe un incident
grave dans le film, et ça met le couple face à une difficulté très
complexe. Mais cela se fait à travers des gens qui s’aiment et qui ne
cessent jamais de s’aimer!
Le film s’articule en effet autour d’un grave problème. Il commence
de manière très réaliste, pour aller vers une forme de «fantastique»…
d’une certaine manière. Pour orchestrer le tout, vous avec une structure
narrative non linéaire pour intégrer cet élément progressivement.
Pouvez-vous développer vos choix narratifs?
Je comprends ce que vous dites. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois
qu’on me parle de cet aspect fantastique… Le fantastique ici, c’est
prendre la réalité et la faire déraper vers quelque chose qui perd sa
rationalité. Personnellement, je ne me suis pas posé ce genre de
question. Ce film, je l’ai peu intellectualisé car je voulais que ce
soit un film émouvant. J’ai travaillé plus sur l’émotion que sur
l’intelligence. Je considère qu’on ne travaille pas sur une idée au
cinéma. Si on a bien fait notre boulot, les gens vont voir des choses
qui relèvent de l’intelligence: ils vont voir des idées, des opinions…
tout ce que vous voulez. Mais nous, en tant que cinéastes, nous
travaillons sur des émotions. Il se trouve qu’il y a un aspect un peu
fantastique… mais il n’était pas conscient. Pour moi, il s’agissait de
la continuité de cette expérience psycho-thérapeutique auquel le
personnage principal est soumis. Il passe à travers quelque chose
d’existentiel. Il se reconstruit à travers cette expérience qui va si
loin, qu’à un moment donné, elle déborde de quelque chose de quasiment
irrationnelle… mais pas complètement irrationnelle. Finalement, la
médecine a inventé ce dont je parle. Je n’ai pas totalement inventé
cela, même si j’ai assumé le côté un peu fantastique de la chose! Je
remplacerais plus «fantastique» par «mystique» en fait. Ce film est un
peu un film de révolte contre la plupart de la cinématographie actuelle
qui est devenue tellement sociétale! Nous ne sommes plus que dans les
phénomènes de société, dans ce que j'appellerais la prolongation des
médias. Les films aujourd’hui sont quasiment une illustration des infos!
Pour moi, ce n’est pas ça le cinéma. J’ai voulu dire: «Non au cinéma
sociétal. Explorons à nouveau la psychologie des êtres humains, dans ses
profondeurs.» Je continue à explorer un cinéma existentiel… et celui-là
va très loin!
Revenons maintenant aux acteurs. Votre fille joue avec un acteur
beaucoup plus connu… que vous avez d’ailleurs dirigé dans tous vos films
(Laurent Lucas, ndlr). Pourquoi ce choix… même si vous avez déjà un peu abordé le sujet!
Ma fille Natacha a initié le projet puisqu’elle m’a dit qu’elle voulait
faire un film avec moi. C’est sûr que si ma fille avait été complètement
démunie de tout talent, je n’aurais pas insisté, mais il se trouve que
j’avais la conviction profonde qu’elle en était capable car dans la vie
de tous les jours, elle aime ça. Elle se filme avec son téléphone, elle
se met en scène… mais elle ne le fait pas de façon exubérante. Elle ne
cherche pas à se valoriser ou à faire des pitreries. Elle met par
elle-même en scène des choses surprenantes, avec des textes, des
histoires… et ça a une certaine profondeur. Autre aspect: j’aime
beaucoup prendre des photos de mes enfants, et elle a donc l’habitude
d’un appareil photo. Face à la caméra, elle n’a donc pas eu une seconde
de stress. Elle vit la situation… elle ne la joue pas, et est d’un
naturel déconcertant. Je l’ai associé à Laurent, ce qui m’a fait un peu
bizarre car d’un coup, son père n’était plus moi mais Laurent!
Finalement, ce n’était pas un problème… au contraire car il s’agit d’un
ami, et elle le connaît très bien. Lui et Laurence Dauphinais ont vraiment mis à l’aise Natacha. Mais pour revenir au choix de Laurent, depuis que nous travaillons
ensemble, nous n’avions pas encore fait de film avec beaucoup de
dialogues… et je voulais qu’il puisse exprimer sa maîtrise
extraordinaire qu’il a des dialogues. Ensuite, je voulais qu’on
travaille sur les sentiments car avec nos films précédents, les émotions
étaient plus effleurées. Ici, on a tapé dans le mille et il a
interprété le rôle de manière très émotionnelle. Il est sorti du
tournage lessivé. Ça l’a vidé. Le rôle l’a atteint et ça se voit dans le
film. Il a vraiment tout donné, et c’est merveilleux. Quelque part,
j’ai l’impression que si ça devait être mon dernier film, ça ne
m’inquiète pas du tout car je ne fais pas du cinéma pour faire quinze
films. J’en fais tant que j’ai l’impression qu’il y a des choses que je
n’ai pas encore dites et que j’ai besoin de dire. Là, j’ai l’impression
d’en avoir dit une grande partie. J’aimerais aussi parler de Laurence Dauphinais car son rôle
n’était pas facile. Elle me disait d’ailleurs «j’ai peur d'être dans un
rôle où je suis un peu passive». Je lui ai dit: «Ne t’inquiète pas, tu
ne seras pas passive. Ton personnage aura de l’autorité, mais il n’aura
pas une autorité revendicative.» Je n’aime pas les actrices dans le
cinéma actuel qui sont toujours en train de démontrer une autorité des
femmes d’aujourd’hui, qui ne se laissent pas faire! Ça compte peut-être,
mais moi ce qui m’intéresse, c’est que les gens puissent se donner de
l’amour. Et la capacité qu’elle a dans le film à soutenir son mari, elle
le fait avec une subtilité remarquable. J’ai adoré comment elle a
interprété son rôle tout en nuance. Elle est autoritaire dans son
personnage, mais sans que ça déborde!
J’aimerais aussi dire quelque chose sur Mohsen El Gharbi, qui
fait une prestation hallucinante. La plupart des gens qui ont vu le film
m’ont demandé si c’est un vrai psychologue! Ça n’en est pas un… et il a
fait un travail remarquable. Il est empathique et juste! Il m’a
impressionné! J’ai adoré… Et Pascale! Pascale Bussières! J’ai un casting de folie pour un
petit film comme ça! Elle nous a fait l’amabilité de venir pour ce qui
est plus qu’une participation car son rôle est essentiel. Elle
intervient à la fin, mais son apport est énorme au niveau émotionnel… et
son personnage apporte la résolution du film. L’échange qu’elle a dans
le film avec Laurent est puissant! Ça ne m’est jamais arrivé depuis que
je fais du cinéma… mais j’avoue que j’ai pleuré durant le tournage de la
scène. Ça m’a bouleversé! Je remercie énormément Pascale d’être venue
pour ce rôle qui démontre qu’un petit rôle peut être très important.
J’ai envie de dire que plus un rôle est petit, plus il faut quelqu’un de
grand parce que ça peut être très casse-gueule. Si on confie une scène
comme ça à un acteur moyen, à la fin du film, le film est foutu!
Pour boucler la boucle, après avoir parlé du financement au début,
j’aimerais que vous nous disiez comment ça se passe, lorsque l'on a fait
un film de manière si indépendante, pour faire voir son film?
Je voudrais déjà parler de Bruno Philip, qui est un ami, et dont
je respecte beaucoup le travail. C’est la première fois que je ne
travaille pas en pellicule, mais son travail avec la Red est magnifique.
Nous avons produit le film ensemble. Mais pour revenir à la question,
maintenant que le film existe, je sais à quoi m’en tenir. Je suis
émerveillé à chaque fois que quelque chose se passe, mais je n’en
attends rien. Le plus grand malheur dans ce métier, c’est quand on
commence à attendre des choses. Je fais des choses car j’ai besoin de
les faire. Je pense que le film va avoir un certain impact critique. Je
pense que le public va aimer, et que chemin faisant, il va faire sa
place! J’en suis sûr! Pas forcément par une distribution traditionnelle,
mais il va trouver sa voie. J’ai bon espoir que les qualités du film
vont lui permettre de trouver son chemin. Je pense qu’on devient fou
dans le cinéma si on cherche à en faire une économie rentable. Il n’y a
que Hollywood qui est capable de ça aujourd’hui! Tous les autres, nous
sommes tous des amateurs! On fait ce qu’on peut… mais je suis sûr que le
film va vivre! J’en suis sûr!